Nirvânashatakam
Les six stances décrivant l’état de nirvâna d’Âdi Shankara (~800 après J.C.)
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La joie d’être et la joie vécue grâce à la pratique m’ont été données ces derniers mois grâce à l’initiation au mantra yoga avec mon instructeur André Riehl (www.nidrayogainternational.com) que je remercie de tout coeur pour son enseignement.
La récitation des yoga-sûtra (YS) m’est familière depuis ma formation. J’aimerais citer un extrait de l’article sur la joie de Martyn Neal qui s’inscrit dans la même tradition de Desikachar – Krishnamacharya: « Le chant est un aspect du yoga que Desikachar affectionnait particulièrement. Il utilisait souvent la pratique du chant dans les postures et bien sûr le chant védique comme une pratique en soi. Il relevait que le chant rendait heureux. (…) Le chant de textes sacrés a-t-il une autre portée ? Sans doute. Mais je ne peux m’empêcher de croire que toute expression de la joie constitue un rapprochement vers cette félicité présente dans le fond de l’être. Les chants sacrés permettent de s’y relier un peu plus nettement que les autres, mais c’est tout. » (cf. www.ify.fr/le-yoga-au-quotidien/ananda-la-joie-profonde)
Grâce aux mantra et la récitation, j’ai pu expérimenter une voie directe pour aller vers un état de conscience où le mental s’apaise et un autre chemin vers la compréhension s’ouvre. Avec la mantra sadhana un état de joie sans forme et sans nom peut surgir en moi.
Les mantra peuvent être des formules, des chants ou des textes plus longs. On parle aussi de bhajan lorsqu’ils sont consacrés à la dévotion au Divin. La décomposition du mot mantra, avec man qui s’apparente à manas « le mental » et le suffixe -tra qui signifie « qui protège », nous indique que cette pratique comme tous les autres yoga cherche à nous amener vers cet état d’unité où silence et immobilité côtoient le Tout.
Âdishankara
Wikipedia: peinture de Raja Ravi Varma 1904
Adi Shankara (sanskrit : Ādi Śaṅkara, devanagari : आदि शङ्कर ; parfois appelé Ādi Śaṅkarācārya ; de Śaṅkara ou Śaṃkara, « celui qui apporte la félicité », une des épithètes de Shiva), est, au VIIIe siècle, un des plus célèbres maîtres spirituels de l’hindouisme, philosophe de l’école orthodoxe Advaita Vedānta, et commentateur des Upanishad védiques, du Brahma Sūtra et de la Bhagavad-Gita. Il eut pour maître Govindanātha et mena une vie de renonçant itinérant (saṃnyāsin) allant d’un monastère ou d’un temple à un autre, d’une communauté à une autre.
Ce fut un « réformateur religieux » qui chercha à créer une entente entre les divers courants et écoles religieuses de son époque.
Étant considéré comme un saint, incarnation (Avatar) de Shiva, les récits de sa vie sont souvent hagiographiques, avec des faits légendaires. Śaṅkara est un Tamoul. Ses écrits sont en sanskrit.
Grâce aux mantra et la récitation, j’ai pu expérimenter une voie directe pour aller vers un état de conscience où le mental s’apaise et un autre chemin vers la compréhension s’ouvre. Avec la mantra sadhana un état de joie sans forme et sans nom peut surgir en moi.
Les mantra peuvent être des formules, des chants ou des textes plus longs. On parle aussi de bhajan lorsqu’ils sont consacrés à la dévotion au Divin. La décomposition du mot mantra, avec man qui s’apparente à manas « le mental » et le suffixe -tra qui signifie « qui protège », nous indique que cette pratique comme tous les autres yoga cherche à nous amener vers cet état d’unité où silence et immobilité côtoient le Tout.
Le mantra est l’utilisation des sonorités pour découvrir le silence. Il existe plusieurs étapes : les mots avec du sens, les sons, les vibrations, les informations et finalement le silence
Dans un premier temps, souvent nous nous attachons au sens des paroles, aux mots, que nous chantons et souvent les pensées se remettent en marche.
C’est l’agencement des sons qui forment des mots, puis du sens. Rappelons-nous un petit enfant qui apprend à parler. Il joue avec les sons qu’il juxtapose, ma-ma-ma-ma… jusqu’à ce que l’adulte en face de lui, ravi lui dit, bravo tu as dit maman. Je suis ta maman… et ainsi de suite avec tous les autres sons qui forment des mots qui auront du sens.
Mais il y a également des sons qui n’ont pas de sens en soi, les sons de la pluie ou les sons de la musique. C’est l’imagination qui relève du mental qui crée du sens ou des images. Rappelons que Patañjali définit l’imagination est une des activités du mental (YS I.6) et il précise dans le YS I.9 que vikalpa découle d’une connaissance formée de mots qui sont sans objet réel correspondant et donc plutôt un obstacle à l’état de yoga.
En deçà du son, il y a la vibration, que l’on peut définir comme un mouvement qui ne se déplace pas. L’alphabet sanscrit comporte 525 vibrations de base qui ont des fréquences multiples. Certains scientifiques font même une équation entre l’énergie & l’information. En effet, l’énergie est une vibration, qui est une fréquence, que l’on peut ramener à un nombre de longueurs d’ondes, qui peut être interprétée comme un code, soit une information qui alimente la conscience.
On pourrait distinguer encore un niveau plus subtil qui est l’information de base. Dans les yoga-sûtra, celle-ci est nommé vrtti, une sorte de tourbillon. L’information qui est au début du processus de mise en marche du mental. Rappelons-nous qu’au début du 1er chapitre Patañjali défini yogah-citta-vrtti-nirodha, l’état de yoga est l’arrêt des activités mentales automatiques (YS I.2).
Voici donc la porte d’entrée vers le silence et dans le Shivaïsme du Cachemire, on parle des épousailles entre l’immobilité et le mouvement, Shiva et Shakti. Différents niveaux de silence ont été décrits dans la tradition, ce sont des expériences si profondes où les mots risquent de fausser la compréhension du vécu de ces sages.
Venons-en à ce mantra qui me touche plus particulièrement depuis que j’ai eu la chance d’être initiée à la pratique de nidrâ yoga avec André Riehl. De nature plutôt active et intellectuelle, mon mental m’est toujours apparu comme obstacle pour aller vers cet état d’unité, ce retour à la source du Vivant. Grâce au nidrâ et au mantra, ces profondeurs me sont possibles d’effleurer et j’en ressens une joie immense.
Dans ce mantra Nirvânashatakam, Adi Shankara énumère en 6 (shat) stances tout ce qui n’est pas l’état de nirvâna ou samadhi, cet état de libération, de béatitude et de félicité lorsque le mental cesse son activité. Dès que nous utilisons des mots, nous sommes prisonniers de la dualité, mais les stances de Shankara agissent comme une spirale qui descendrait vers les profondeurs d’un puit pour aller vers l’origine, surtout lorsque nous avons la chance de les réciter. Les traductions proposées sont un condensé de l’enseignement d’André Riehl et de mes recherches sur internet pour rendre au mieux mon ressenti.

Je ne suis pas le mental, ni l’intellect, ni l’égo, ni la mémoire.
Je ne suis pas les cinq sens (ouïe, toucher, vue, goût, odorat – jñanedriya).
Je ne suis pas l’espace, la terre, le feu, l’eau, ni le vent (les 5 éléments – mahabhuta).
Je suis la conscience pure et bienheureuse (ananda), je suis l’Absolu (shiva).
Cette stance fait référence à la création du monde tel que présenté dans le Samkhya et nous rappelle que la pratique du yoga nous invite à faire un processus inverse où nous nous tournons vers la source en allant des éléments grossiers vers le subtil. Mais même les sens subtils dit intérieurs – antahkarana, soit le mental – manas, l’égo – ahamkara, l’intuition intelligente – buddhi et la mémoire – citta, sont souvent des obstacles pour aller vers cette conscience joyeuse. Grâce au chant et la vibration des sons, les voiles se lèvent et nous rapprochent de la source.

Je ne suis pas le souffle (prāna), ni les 5 énergies (vāyus),
Ni les 7 essences matérielles (dhātu), ni les 5 enveloppes (panca-kosha: ana, prâna, mano, vijñana et ananda maya kośa).
Je ne suis pas les 5 instruments d’action (karmendriya) : élimination, procréation, locomotions, préhension ou parole.
Je suis la conscience pure et bienheureuse (ananda), je suis l’Absolu (shiva).
Cette stance confirme que cet état de nirvana n’est pas à chercher dans les fonctions du souffle vital, ni les tissus qu’énumère l’ayurveda ou les instruments d’actions connus.

Je n’ai ni haine, ni attachement, ni avidité, ni engouement,
Je n’ai pas de passion, ni sentiments d’envie et de jalousie.
Je n’ai pas de devoir (dharma), ni argent (artha), ni désir (kāma), ni même libération (moksha).
Je suis la conscience pure et bienheureuse (ananda), je suis l’Absolu (shiva).
Cette énumération parle d’émotions et de sentiments que créent les klesha – sources d’afflictions nommées dans les Yoga-Sûtra. Notre personnalité qui nous maintient dans la dualité de l’attraction et du rejet. La conscience pure et bienheureuse est au-delà du précepte quadruple de vie vertueuse bien connu des hindous. Nous sommes invités au détachement, au lâcher-prise pour aller vers la joie qui sous-tend le tout.

Je ne suis lié ni par les mérites, ni par les péchés, ni par les joies ni par les peines du monde,
Je ne suis lié ni par les hymnes sacrés (mantra), ni par les lieux sacrés, ni par les écritures sacrées (vedā) ni par les rites ou sacrifices (yajña)
Je ne suis ni la jouissance (l’expérimentation/perception), ni l’objet de la jouissance (l’expérience/objet perçu), ni celui qui jouit (celui qui expérimente/observateur),
Je suis la conscience pure et bienheureuse (ananda), je suis l’Absolu (shiva).
Cette stance va dans le même sens que les YS II.17-21 où Patañjali souligne la cause de la souffrance à cause de la confusion entre le principe spirituel (drashtar) et le monde matériel (drsyam). Il précise que l’entité qui perçoit (drashtar) peut seulement percevoir. Elle expérimente à travers le mental mais reste inaltérée.

Je ne suis pas lié par la mort et sa peur, ni par les règles de la caste et ses distinctions,
Je n’ai ni père ni mère, je n’ai pas de naissance,
Je n’ai ni parents ni amis, ni maître spirituel (guru), ni disciple (shishya),
Je suis la conscience pure et bienheureuse (ananda), je suis l’Absolu (shiva).
Shankara parle de cette conscience pure et bienheureuse comme une force de Vie intense qui sous-tend et travers tout. Mâ Ananda Moy et Shri Aurobindo enseignement que ananda, la joie est l’impulsion centrale de la nature humaine. (cf. Aux sources de la joie de Mâ Ananda Moyî, Ed. Albin Michel, 1996, p.31)

Je suis omniprésent, je suis sans attribut, et sans formes.
Je n’ai pas de souhait, pour quoi que ce soit, parce que je suis le Tout, le Partout, le Tout-le-Temps, toujours en équilibre.
Je ne m’attache à rien, ni ne me libère de rien (mukti).
Je suis la conscience pure et bienheureuse (ananda), je suis l’Absolu (shiva).
La Félicité, ananda est partout, elle est la base, le motif essentiel de toutes nos activités, en fait de toute vie. La Taittiriya Upanishad dit : « Qui donc agirait, qui donc respirerait si cette Félicité n’était pas dans l’espace ? » Cette base de toute existence, le « champ unifié » des physiciens est fait d’une masse indivise de Conscience-Bonheur (chidananda). Nous la percevons à travers l’épais voile de notre agitation mentale. Les nuages nous cachent le soleil ; mais même leur couleur noire n’est visible que parce que le soleil est derrière eux. (cf. Vijayananda, témoignages d’un disciple de Mâ Ananda Moyî, Un chemin de joie, p.55)
En récitant le Nirvanashatakam, nous découvrons que ananda est joie sans objet, sans sujet, « sans raison », félicité au-delà de la dualité bonheur – malheur. Ananda est une des qualités fondamentales de l’Absolu (shiva) avec l’être (sat) et la conscience (cit).
Pour moi ce chant réunit les divers enseignements du yoga que j’ai eu la chance de recevoir et d’expérimenter. Plus besoin de comprendre, juste accueillir les vibrations qui amènent vers le silence. Ce mantra pointe vers l’essentiel, mon essence profonde…
Il ne vous reste plus qu’à chanter pour aller vers cette joie, voici quelques liens qui peuvent vous accompagner dans votre exploration:
- https://youtu.be/Ed_RsCvuPBQ Sounds Of Isha – Nirvana Shatakam | Chant | Vairagya
- https://youtu.be/yq9WPkuLdbc Nirvana Shatkam (Ameya Records)
- https://youtu.be/-IvYvXX0t2Y Nirvana Shatakam Songs for Sri Moojiji
- https://youtu.be/QW2nQzDPXng Nirvana Shatkam – Featuring Smita
- https://youtu.be/UrZUQh6SpcQ Nirvana Shatkam of Jagadguru Adi Shankaracharya – RAAS Family
Vous verrez que chacune de ces interprétations nous fait découvrir d’autres facettes de cette conscience pure et bienheureuse.
Bien à vous
Eveline, dans la joie de vivre…
